1968 à Sup’ de Co Nantes

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  • Le 28 mai 2018
A l’aube des événements de Mai, Audencia s’appelle encore Sup’ de Co Nantes. Le campus se trouve Rue Voltaire, à l’emplacement de l’actuel Musée des Beaux-Arts [En savoir + : Pose d’une plaque commémorative 31 mai 2018]. 
Les diplômés des promos 68 et 69 nous racontent comment ils ont traversé quelques mois un peu fous. A travers ces quelques lignes, des témoignages plus ou moins vifs des événements, certains d’entre vous retrouveront peut-être des camarades de promo perdus de vue, d’autres découvriront la vie de l’Ecole et de Nantes il y a 50 ans.  Des souvenirs livrés avec une générosité teintée d’un brin de nostalgie.
Merci sincère et chaleureux à chacun des diplômés qui ont répondu spontanément à notre appel.
 
Michel Meilhac (GE 69) – De Mai 68 au Printemps de Prague
« Encore étudiants, nous vécûmes Mai 68 en assistant aux cours avec assiduité, jusqu’à ce que la Direction décide de fermer l’école par souci de sécurité. Après négociation pour un passage en 3ème année sans examen, nous fûmes un petit groupe à partir faire retraite à La Baule jusqu’à la fin des événements.
Quelques semaines plus tard, je partais pour un stage en Slovaquie, remplaçant le job que j’avais trouvé sur le Paquebot France, bloqué à quai par les événements. C’est ainsi que, devant quitter Kosice le 23 août 1968, j’en fus empêcher par l’arrivée subite des troupes russes qui mirent fin au Printemps de Prague. »

Patrick Badin de Montjoie (GE 69) – Mai 68, le début de ma 2ème vie
« Que d’événements vécus depuis Mai 68 et cette impression d’avoir eu plusieurs vies, sans doute une belle illustration de la nouvelle devise d’Audencia : Never stop daring. A 72 ans, je suis toujours à la tête de… mon exploitation agricole. Et oui, j’ai passé un BTS agricole à 50 ans, après 22 ans de carrière chez IBM en France et à l’international. Comme quoi Audencia mène à tout à condition d’en sortir.
Mais revenons à Mai 68 ! Etudiant puis diplômé de Sup’ de Co Nantes, je décide de m’engager en parallèle dans une carrière militaire comme Officier de Réserve pour combattre le Pacte de Varsovie. Service militaire en Allemagne, concours des ORSEM, je suis finalement affecté au Commandement Opérationnel de l’Etat-Major de l’Armée de Terre à Paris de 1976 à 1990. Une vie complète, ou plusieurs vies, avec un enseignement essentiel qui est la force principale des armées : dans les coups durs, on ne laisse pas tomber un copain ! »

Lysiane Vivien (GE 68) – Le diplôme malgré tout
« Mai 68 est si loin pour moi qui ne me suis pas très impliquée que je n’ai pas grand-chose à vous dire.
A Sup’ de Co, nous étions un peu en retrait de toute l’agitation si je compare avec l’enthousiasme de mes trois amies locataires de l’époque (médecine, lettres et droit). Mais, parmi quelques souvenirs éparses, deux me reviennent en mémoire :
  • Une manif’, place de la petite Hollande et devant la Préfecture, avec des amis qui n’étaient pas des Sup’ de Co
  • Un pot entre amis (de Sup’ de Co) au Conti, place Royale. Nous avons vu entrer dans le café des CRS, matraques en main, qui n’hésitaient pas à s’en servir, sans raison particulière. Certainement qu’ils savaient l’endroit systématiquement occupé par les étudiants.
Nous n’avons pas passé notre examen final. Pourtant, j’étais partie avec une amie dans la maison de campagne de famille sur les bords de la Loire. Nous nous sommes rapidement trouvées isolées, sans voiture, sans téléphone, ni fixe, ni mobile bien sûr. L’essence devenait rare, avec difficultés mon père a réussi à faire un plein pour venir nous chercher et nous dire que l’examen était annulé.
Un dernier souvenir me revient : celui d’être montée à Paris en voiture, toujours en pleine crise d’essence, avec un ami de mon père. En grand excès de vitesse car il n’y avait personne sur la route. Je devais passer un entretien d’embauche et cet ami allait chercher son fils HEC à Jouy en Josas bloqué sans transport sur son campus.
Mon mari, Jean-Philippe Vivien (GE 68), est décédé l’an dernier. Peut-être aurait-il apporté un autre témoignage car, étant parisien, il avait quitté Nantes assez rapidement. »

Claude Foulon (GE 68) –  Un obstacle à la conclusion de mes études supérieures
« Pour les 3ème année et pour le provincial, non Nantais, que j’étais à l’époque avant de devenir un expatrié professionnel, Mai 68 a été l’obstacle à la conclusion de mes études supérieures par un examen qui m’aurait permis de sortir avec panache de ces trois années dédiées à l’apprentissage du commerce international.
Pour nous éloigner de la fièvre révolutionnaire s’emparant de nos camarades des facultés, Laurent Falkenstein et moi-même avions décidé de nous mettre au vert pour les dernières révisions, loin des manifestations, dans la villa parentale, à St Jean de Monts.
Le jour de l’examen approchant, sans télé, sans téléphone, mais écoutant la radio, notre préoccupation majeure devenait l’approvisionnement en essence : le plein qui nous permettrait de rentrer à Nantes le jour J.
Nos révisions ne s’arrêtaient que pour écouter le dernier flash RTL ou France Inter…Nous avions l’impression de passer à côté de quelque chose d’historique, une gigantesque foire qui avait l’air de tourner mal. Notre âme de jeunes bourgeois des campagnes ne nous permettait d’aller au-delà de la sympathie pour les étudiants maltraités par de terrifiants agents de police et CRS… Loin de nous l’idée d’aller les rejoindre. Notre volonté était à ce stade d’en terminer avec nos études pour entrer dans le vrai monde : de l’industrie pour Laurent et du commerce international pour moi…
Le jour de l’examen arriva. Nous avons regagné Nantes avec l’intention d’en découdre avec l’épreuve sanctionnant trois années de travail sérieux, intense, engagé…
Nous ne sommes pas allés plus loin que la grille fermée de l’école, rue Voltaire.
Le portier nous apprit que l’examen était supprimé, l’école fermée, et que nous aurions notre diplôme de fin d’étude sur la base de la moyenne des notes des 3 années.
Cette expérience très personnelle montre à quel point la perception de Mai 68 peut varier selon que l’on est Parisien, Nantais ou d’ailleurs. Mai 68 n’a pas eu d’impact sur nos carrières. Nous allions tous trouver rapidement notre voie. Je me retrouvais pour ma part, quelques mois plus tard, en Allemagne, dans l’armée d’occupation avant de pouvoir œuvrer pour le développement du commerce extérieur de la France au sein des services commerciaux français du Consulat Général de France à Francfort. »

Bernard DELIGNY (GE 69) – Au cœur des négociations
« En tant que Vice-Président de la FNEF, j’étais à l’époque au cœur des débats à Sup’ de Co Nantes. J’ai participé aux négociations avec Henri Touchard, le Directeur de l’Ecole, et son Secrétaire Général, Monsieur Cerisier. Notre objectif : le passage en 3ème année sans exam, compte tenu des événements. Nous l’avons obtenu. »
 
Depuis notre entrée à l’Ecole, reçus par le Directeur de Sup’ de Co, Monsieur Henri Touchard, nous recevions le message, relayé par le corps professoral, que nous étions les futurs cadres dirigeants des entreprises. Difficile d’emboiter le pas de ceux qui prônaient la fin de la hiérarchie, la disparition des élites, l’éradication de la propriété ! 
Nous étions très peu nombreux à adhérer à un syndicat d’étudiants ; quelques-uns s’étaient égarés à l’UNEF, d’autres à la FNEF. Les seules manifestations « syndicalisées » avaient pour cadre les élections de MNEF avec des affichages près de la Corpo. Pour ma part, j’avais adhéré à la FNEF dès la première année, présenté par Bernard Huet (Promo 68) et en était un des Vice-Présidents locaux.
Le début du mois était particulièrement agité avec des défilés ouvriers permanents, les drapeaux rouges sur les toits de Brissonneau route Paris et ses piquets de grève. Petit à petit le mouvement prenait de l’importance, les grèves avec occupation se multipliaient, les défilés n’en finissaient plus.
 
L’Ecole de la rue Voltaire était épargnée, loin des campus universitaires nantais. Mais l’agitation pointait, principalement orchestrée par Gaël de La Porte du Theil (Promo 67) membre de l’UNEF.
Déjà barbu, fan du Che, il provoquait une AG pour décider du blocage illimité de Sup’ de Co. Cette AG devait se tenir, si mes souvenirs sont exacts, le mardi 14 mai, dans l’amphithéâtre, au cœur du bâtiment qui nous accueillait. L’affluence était plutôt faible et l’ambiance bon enfant. Les revendications n’étaient pas nombreuses, se limitant à quelques aménagements nouveaux, et à un contrôle continu des connaissances, ce qui, disons-le, en auraient gêné plus d’un !
Gaël me proposa, en fin stratège, de présider l’AG. Je n’avais pas vu le piège qu’il m’avait tendu. Alors que je voulais prendre la parole, il me remit à ma place en me rappelant que le devoir d’un président d’AG était de respecter les débats et de ne pas y prendre part. Après son plaidoyer, fortement ancré « gauchiste », la majorité de l’Assemblée se prononçait pour une grève illimitée.
Ceci me paraissait tellement en décalage avec ce que nous représentions et ce que nous serions par la suite, diplôme en poche, qu’il fallait intervenir. Je déclarais, en tant que Président de séance, que l’assemblée était trop faiblement représentative et qu’il fallait renouveler le vote le lendemain avec tous les étudiants de l’école ou pour le moins une forte présence.
La nuit fut longue pour convaincre les absents de venir à l’AG, pour retourner les hésitants de la veille. C’était une véritable opération « commando ».
 
Le mercredi 15, nouvelle AG, avec cette fois, un ampli plein à craquer, débordant sur le parvis. En début de séance, je proposais immédiatement à Gaël de prendre, en réciprocité, la présidence de l’AG. Fort de son succès de la veille, il accepta. Je pris donc la parole en exhortant les étudiants présents de voter pour la poursuite des cours et la tenue des examens. Par une majorité écrasante, la motion était acceptée. Lorsque Gaël voulut prendre la parole, je lui rappelais ses propos de la veille et l’affaire fut entendue. Gaël, trop seul de l’UNEF, ne faisait plus audience.
 
Cette étape passée, il fallait négocier avec la Direction de l’Ecole ! Détail amusant, les débats étaient suivis en direct par le Secrétaire Général, Monsieur Cerisier, tapis sous les gradins en bois de l’amphithéâtre. On y accédait par une petite porte située au fond du couloir qui longeait la corpo. Il était au courant de tout, du rôle de chacun, des débats, des interventions. Une délégation des élèves avec le Président de la Corpo, moi-même et quelques autres, nous rencontrâmes la Direction au complet : Messieurs Touchard et Cerisier, un ou deux professeurs dont Monsieur Borne.
Fort du mandat que nous avions reçu, nous demandions la poursuite des cours et surtout le maintien des examens.
A la première question, il nous fut opposé l’impossibilité matérielle d’organiser les cours, l’école se situant proche des lieux de manifestations avec tous les risques de débordements ou d’infiltration d’éléments étrangers. L’école serait fermée jusqu’à nouvel ordre.
La seconde question les mettait fort dans l’embarras ; comptant sur une évolution rapide et favorable du conflit, ils pensaient pouvoir maintenir les sessions de juin. Par contre, la gravité des affrontements du moment les incitait à la prudence.
Nous restions fermes sur ce point, demandant l’arbitrage du Recteur de l’Académie et proposant la mise en place de protections policières auprès des salles d’examens qui pouvaient être délocalisées. Notre zèle étonnait ; il était totalement dissonant avec le reste du monde étudiant ! D’autres Ecoles de Commerce avaient suivis les chemins de l’affrontement, nous avions choisi celui de la négociation !
 
L’Ecole fermée, nous avons décidé à quelques-uns de « prendre du recul » à La Baule, dans la villa familiale de François Degueldre. Il y avait Michel Meilhac, Jean Pierre Fourcat, Joël Viallard, Alain Mitaux-Maurouard, Patrice Tréquesser, Cyril Duval, et moi-même tous de la promo 69.
Nous avons caché les voitures un peu trop voyantes et laissé à la vue les 2 CV de François et Michel. Cyril nous quittait pour rejoindre Paris, Patrice repartant sur Rennes. Il n’y avait plus d’essence, pas de téléphone. Nous avions avec nous un trésor de guerre : les boissons prévues pour le cocktail de lancement de la plaquette de Jeune Commerce ! L’épicerie au pied de la villa avait un bon stock !
Pour l’essence, nous usions d’un stratagème : les 2 CV partaient vers les rares stations occupées par des grévistes de la CGT qui délivraient les bons d’essence. Après quelques palabres, prétextant un AG importante sur Nantes, nous avions les fameux bons ! On répétait l’opération régulièrement, remplissant une vieille cuve à mazout vide avec l’essence siphonnée dans les réservoirs des 2 CV ! Nous sommes restés à La Baule jusqu’au 28 mai, sous un soleil radieux. L’essence transvasée dans des bidons, rangés dans les coffres de nos voitures, nous rejoignions nos villes respectives, dans l’attente de décisions concernant les examens : reportés en septembre ou annulés ?
 
Le mercredi 29 mai, j’avais rejoint Le Mans avec Michel Meilhac. Il continuait vers Paris pour participer à la manifestation du 31 mai. Le 30 mai, je recevais un appel téléphonique de Monsieur Touchard qui nous annonçait que les examens avaient été annulés et qu’il avait pris la décision avec le Recteur de l’Académie et le Ministère de l’Education Nationale, d’accorder à tous les élèves de Sup de Co Nantes, le passage dans l’année supérieure pour les 1ère et 2ème années et le diplôme pour les 3ème années. Une seule exception pour un d’entre nous qui se voyait refuser le passage en 3ème année. Je tairai son nom, peut-être se reconnaitra-t-il ! J’entamais avec Monsieur Touchard, une longue conversation au téléphone pour négocier la levée de cette mesure. Ne pouvant faire une exception pour un élève, la cause fut entendue.
 
Michel Meilhac rentré en stop de Paris me retrouvait au Mans le samedi 1er juin. Il me tardait de rejoindre Narbonne où m’attendait celle qui deviendrait mon épouse deux ans plus tard. Nous avons pris la route de nuit, contournant les barrages, évitant les manifestations, nos bidons d’essence dans le coffre et nous sommes arrivés, en fin de cortège du Parti communiste, sous les yeux étonnés de ma future femme et de sa mère. S’en suivirent une quinzaine merveilleuse, seuls sur une plage du midi, nous ravitaillant en Espagne ou en Andorre en attendant le début de notre stage de 2ème année, en Tchécoslovaquie pour Michel et à Ljubljana pour moi. »
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